Startups hardware : pourquoi ces investissements nécessitent une approche différente ?

Investir dans une startup hardware ne se limite pas à financer un projet technologique innovant. Contrairement aux modèles purement logiciels, les startups hardware évoluent dans un environnement où les cycles de développement sont plus longs, les besoins en capitaux plus élevés et les risques industriels plus marqués. Pour un investisseur, cela implique d’adopter une approche plus structurée, en prenant en compte des dynamiques spécifiques qui influencent directement la rentabilité et le potentiel de croissance.
Alors que les investissements dans le SaaS et les plateformes numériques permettent souvent une mise sur le marché rapide et une scalabilité quasi immédiate, les startups hardware doivent franchir plusieurs étapes critiques avant de générer des revenus significatifs. Prototypage, industrialisation, certification, production en série, logistique et distribution : chacune de ces phases représente un défi à la fois technique et financier. Dans ce contexte, les business angels et fonds d’investissement doivent adapter leurs stratégies pour maximiser leurs chances de succès.
1. Des cycles de développement plus longs et capitalistiques
L’une des principales différences entre une startup hardware et une startup software réside dans la durée et le coût du développement produit. Un logiciel peut être testé et amélioré en continu, tandis qu’un produit physique nécessite un prototypage complexe, des phases de test rigoureuses et un passage en production qui mobilise des ressources conséquentes.
Prenons l’exemple d’une startup développant une batterie innovante pour véhicules électriques. Entre la conception initiale et la mise sur le marché, il faudra plusieurs années, avec des besoins financiers constants pour financer la R&D, les tests de certification et l’optimisation industrielle. Une erreur de conception peut entraîner des délais supplémentaires et des coûts exponentiels, ce qui rend ces investissements plus risqués et moins liquides que ceux dans des startups purement digitales.
En tant qu’investisseur, il est donc crucial de comprendre le cycle de développement produit et le time-to-market. Un retour sur investissement peut prendre 5 à 10 ans, contrairement aux modèles SaaS où des résultats concrets peuvent être visibles dès la première année. La patience et la capacité à financer plusieurs tours successifs sont essentielles.
2. L’enjeu du passage du prototype à l’industrialisation
L’une des étapes les plus délicates pour une startup hardware est le scaling de la production. Concevoir un prototype fonctionnel est une chose, mais le produire à grande échelle avec un coût maîtrisé et une qualité constante en est une autre. Beaucoup de startups sous-estiment les défis de l’industrialisation et de la supply chain.
Une startup développant un capteur médical connecté peut réussir à produire un premier lot de prototypes en laboratoire. Mais lorsqu’il s’agit de lancer une production en série, plusieurs questions émergent : Quel fournisseur choisir ? Où produire (Chine, Europe, États-Unis) ? Quels volumes commander pour optimiser les coûts sans immobiliser trop de cash ? Comment gérer la certification et la mise en conformité avec les régulations locales ?
Un produit mal industrialisé peut souffrir de défauts de fabrication, d’un coût de production trop élevé ou de délais de livraison non maîtrisés. Les investisseurs doivent donc s’assurer que l’équipe fondatrice a une vraie compréhension des enjeux industriels et un plan solide pour passer à l’échelle. Travailler avec des partenaires industriels dès le début du projet est souvent une approche judicieuse pour sécuriser ce passage critique.
3. Un besoin en financement plus important et dilutif
Contrairement aux startups SaaS, qui peuvent souvent atteindre la rentabilité avec peu de capitaux externes, les startups hardware nécessitent des levées de fonds plus fréquentes et plus volumineuses. Entre le prototypage, les tests, la certification et la production, les besoins en capital peuvent doubler ou tripler entre deux tours de table.
Prenons l’exemple d’une startup développant un drone autonome pour l’agriculture. Une première levée de fonds Seed de 1 million d’euros peut suffire à produire les premiers prototypes et tester le produit sur le terrain. Mais dès qu’il s’agit de passer en production, une levée de 5 à 10 millions d’euros peut être nécessaire pour couvrir les achats de composants, la mise en place des chaînes d’assemblage et les premiers efforts de commercialisation.
Cette dynamique a deux implications majeures pour les investisseurs early-stage :
Un risque de dilution plus important : en raison des besoins en financement successifs, les premiers investisseurs voient leur part du capital réduite au fil des levées.
Un horizon de liquidité plus long : les opportunités de sortie sont souvent repoussées, car les startups hardware nécessitent des financements postérieurs importants avant d’atteindre leur pleine maturité.
Pour limiter ce risque, il est pertinent de négocier des clauses de follow-on permettant de réinvestir à chaque tour et de prévoir une participation à long terme plutôt qu’un exit rapide.
4. Des défis liés à la supply chain et aux coûts de production
Un autre facteur déterminant dans le succès d’une startup hardware est sa capacité à gérer efficacement sa chaîne d’approvisionnement. Dans un monde où les pénuries de composants et l’inflation des matières premières deviennent de plus en plus fréquentes, une mauvaise gestion de la supply chain peut tuer une startup.
Prenons l’exemple de la crise des semi-conducteurs qui a paralysé plusieurs industries ces dernières années. Une startup développant un produit électronique innovant peut voir son lancement retardé de plusieurs mois, voire d’un an, si elle ne parvient pas à sécuriser ses fournisseurs. Un retard prolongé peut entraîner une perte de traction, une fuite des clients potentiels et un manque de financement pour tenir jusqu’à la reprise de la production.
Les investisseurs doivent donc évaluer la robustesse de la supply chain avant d’engager des fonds. Une startup hardware bien préparée aura identifié plusieurs fournisseurs, un plan B en cas de pénurie et une gestion optimisée de ses stocks.
5. Une stratégie de go-to-market plus complexe
Vendre un produit hardware nécessite souvent un canal de distribution bien défini et une stratégie commerciale adaptée. Contrairement aux startups SaaS qui peuvent déployer un produit à grande échelle avec une équipe réduite, les startups hardware doivent souvent bâtir un réseau de revendeurs, de partenaires industriels ou de distributeurs spécialisés.
Un bon exemple est celui des startups de la Medtech, où la vente d’un dispositif médical peut nécessiter l’approbation des hôpitaux, des organismes de santé et des régulateurs avant d’être adopté à grande échelle. La stratégie de commercialisation doit être pensée en amont, en intégrant des éléments comme les partenariats B2B, la certification des produits et les stratégies de pricing adaptées aux cycles de décision plus longs.
Les investisseurs doivent s’assurer que l’équipe fondatrice a une vision claire de son go-to-market et des ressources nécessaires pour l’exécuter. Un produit hardware peut être excellent techniquement mais échouer à trouver son marché s’il est mal distribué ou s’il ne s’intègre pas aux usages existants.
Une approche plus rigoureuse et un horizon plus long
Investir dans une startup hardware est une aventure plus exigeante que dans le logiciel. Les cycles de développement plus longs, les besoins en financement plus élevés et les défis liés à l’industrialisation nécessitent une approche structurée et une réelle expertise de la part des investisseurs.
Toutefois, les startups hardware offrent également un potentiel de création de valeur exceptionnel, notamment lorsqu’elles innovent sur des marchés en pleine transformation (mobilité, santé, robotique, énergie…). Une technologie brevetée et bien exécutée peut devenir un avantage concurrentiel durable, difficile à copier et avec des marges solides une fois le seuil de rentabilité atteint.
Pour un business angel ou un fonds d’investissement, le succès d’un investissement hardware repose donc sur plusieurs éléments clés : choisir les bonnes équipes, anticiper les enjeux industriels, structurer les financements et accompagner la stratégie de go-to-market avec une vision long terme. Ceux qui sauront maîtriser ces paramètres pourront tirer parti d’un écosystème hardware en pleine mutation, où les grandes innovations de demain se construisent dès aujourd’hui.
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